Dons au PQ et Gomery: Le Rapport Moisan

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Le Rapport Moisan 

Vers 1994, Brault retint les services de Alain Renaud, un démarcheur expérimenté, pour agir à différents niveaux pour son entreprise. Renaud lui rappela qu’une personne morale ne pouvait contribuer elle-même à des caisses de partis politiques, mais qu’elle pouvait le faire via ses employés, et que c’était là une pratique courante.

En 1994, il rencontra un recruteur de fonds du Parti québécois, un monsieur Melançon, qui lui enseigna ce qu’il a appelé le cours de «contributions 101 ». Pour obtenir des contrats de publicité du parti au pouvoir, il était important de faire des contributions à la caisse. Monsieur Melançon lui fit la comparaison suivante. On peut regarder l’avion passer, on ne va nulle part. Pour voyager, il faut acheter un billet. Si on choisit la première classe, on obtient plus de confort qu’en classe économique. Brault a vite compris qu’il lui importait de contribuer s’il voulait « voyager » en tout confort.

Renaud connaissait depuis quelques années madame Ginette Boivin, une employée du Parti québécois en charge du financement et de la cueillette de fonds. Plusieurs années plus tôt, ils avaient ensemble participé à des activités de nature sociale et syndicale. Il s’impliqua comme lien entre Groupaction et le Parti québécois et il continua d’exercer ce rôle jusqu’à son départ de Groupaction, vers 2000.

Effectivement, Brault demanda à son personnel de faire des chèques de 3000 $, à l’ordre du Parti québécois, et de les lui remettre en retour d’un chèque de sa compagnie, du même montant, mais avec l’ajout d’un montant suffisant pour compenser l’impact fiscal relié à ce qui pouvait être considéré comme un salaire ou avantage additionnel.

Toujours selon les affirmations de Brault, les chèques des employés faits à l’ordre du Parti québécois étaient mis dans une enveloppe et remis par Renaud ou par lui-même à Boivin ou à sa secrétaire.

Selon son agenda, Brault a rencontré à plusieurs reprises monsieur Michel Hébert, qui avait autrefois été agent officiel du Parti québécois et qui était maintenant intéressé à la cueillette de fonds pour le parti. Il était reconnu comme un argentier du parti.

Brault déclare qu’il a rencontré Boivin et Hébert à plusieurs reprises, seul ou avec Renaud. Les agendas de Brault indiquent les dates suivantes : 3 octobre 1996 (Boivin, Hébert, Renaud, Brault), 8 mai 1997 (Hébert, Brault), 20 août 1998 (Boivin, Hébert, Renaud, Brault), 24 février 2000 (Hébert, Brault), 19 octobre 2000 (Boivin, Hébert, Brault) et 22 octobre 2001 (Boivin, Brault).

Le but de ces entrevues était au dire de Brault de se faire connaître, de vanter les mérites de son entreprise, « d’entretenir de bonnes relations et d’avoir accès à un cercle fermé d’agences auquel Boivin avait déjà fait allusion pendant un repas au restaurant Le Piment Rouge… ».

On a donc la preuve de la réception de trois envois de contributions groupées, remis au parti et entrés aux livres au même moment. Cela correspond aux témoignages de Brault et Renaud concernant la méthode suivie pour réunir les chèques des employés et pour les acheminer vers le parti.

Au surplus, il est facile de comprendre que la remise des contributions de main à main aux gens du parti était essentielle pour démontrer que Groupaction manifestait son intérêt pour les objectifs du parti, sinon sa reconnaissance pour les faveurs obtenues ou à venir.

Promesse ou demande de contributions?
Y a-t-il eu demande de contribution au parti pour un certain montant? Boivin et Hébert le nient. Brault le mentionne mais dans des termes plutôt vagues. Il y fait parfois allusion à l’occasion de conversations avec les membres de son personnel rapproché. Il parle de deux montants de 50 000 $ chacun, ou d’un montant de 50 000 $ ou 60 000 $. Rien n’est clair dans son témoignage. Il soutient même que c’est Renaud qui, à la suite de contacts avec Boivin, lui aurait proposé des contributions à cette hauteur, sous forme de dons par l’entremise de ses employés ou par des achats de billets.

Le seul témoignage qui apporte quelque élément plus certain sur le montant prévu des contributions, qu’il ait été demandé par le parti ou proposé par Brault, se trouve dans les propos et les écrits de Lambert. Il entre au service de Groupaction en début de 1996. Il rédige des mémos à l’attention de Brault, souvent à partir de ce que lui dit Renaud. Dans un mémo qu’il a rédigé le 24 avril 1996 concernant la Soirée Hommage à Jacques Parizeau, Lambert écrit : « l’achat de 12 billets pour cette soirée au montant de 720 $ est déductible du solde que Groupaction doit encore contribuer (27,000$) ».

À l’endos de ce mémo, on trouve les notes manuscrites suivantes : PQ 50 000, 5 000, 6 x 3 000 = 18 000 payé 23 000 balance 27 000.

La connaissance du parti
Les versions de Hébert et de Boivin admettent en partie le témoignage de Brault. Il y aurait eu quelques rencontres, mais en moins grand nombre que ce que dit Brault ou que ce que montrent ses agendas. Brault en profitait pour faire connaître son entreprise, ses activités, son expertise. Selon Boivin et Hébert, la conversation portait surtout sur des achats de billets pour les activités de cueillette de fonds du parti : soupers bénéfice, cocktails, etc. À les entendre, ils étaient surtout des vendeurs de billets à la recherche de clients. Il est permis d’en douter.

Ces rencontres, tous le savaient, permettaient à Brault de promouvoir l’obtention éventuelle de contrats. Dans son deuxième interrogatoire devant moi, Hébert a reconnu qu’étant un ancien agent officiel du parti, une personne très proche et très respectée des instances supérieures du parti et reconnue comme telle, beaucoup de personnes voulaient le rencontrer pour se faire connaître et offrir leurs services. Il soutient qu’il n’avait aucun pouvoir d’intervention ou de décision, que les pouvoirs qu’on lui attribuait étaient selon lui un mythe, mais qu’il laissait planer « l’équivoque ». Cette dernière affirmation laisse songeur. Il ajoute avec une certaine candeur que s’il y a des appels d’offres sur invitation, il est important d’être connu pour être invité.

On a vu que Brault s’arrangeait pour que ses contributions indirectes soient connues de Boivin, puisqu’elles n’étaient pas envoyées par la poste au siège du parti, mais remises en main propre au bureau de Boivin.

Les rencontres entre Brault, Boivin et Hébert ne peuvent s’expliquer ou se justifier par le simple désir de Brault de se faire connaître. À cette fin, une seule aurait suffi. Comment les justifier autrement? Personne ne pouvait être dupe. Boivin et Hébert recherchent du financement pour le parti, Brault recherche des contrats; il croit à l’influence de Hébert et de Boivin même si elle est peut-être inexistante; alors il contribue généreusement à la connaissance de ses interlocuteurs.

Madame D. a reçu des appels de Boivin, lui demandant si Brault avait quelque chose pour elle. Comprenant que madame D. était au courant, elle devient plus explicite. Elle précise qu’il faut que ce soit des chèques personnels. Madame D. la rassure : tout est prêt ou presque, la plupart des chèques ont été ramassés. Boivin ne pouvait faire erreur sur la provenance ultime de l’argent, sur le processus mis en place.

Dans ses témoignages, Brault a souvent fait allusion à sa rencontre avec Melançon et à ce fameux cours sur les contributions politiques. Melançon ne nie pas la possibilité d’une rencontre avec Brault, mais il n’a pas souvenir de lui avoir appris comment faire ses contributions politiques. Qui dit la vérité? Peu importe. On peut douter que Brault, qui n’était pas un novice dans le monde de la publicité et qui, à l’époque, entrait dans la mouvance des commandites, aurait alors appris quelque chose de neuf de son interlocuteur.

CONCLUSIONS DE CE CHAPITRE
Par l’entremise des employés de son entreprise ou par des achats de billets, Brault a versé des contributions au Parti québécois, à hauteur de 96 400 $. Le parti connaissait cette situation et il fermait les yeux.